Jeudi 8 octobre 2015. 18h00.
Craig Johnson était l’invité d’honneur du Festival international de Toulouse Polar du Sud. La médiathèque José Cabanis a eu le plaisir de l’accueillir pour une rencontre passionnée et chaleureuse dans son grand auditorium.
Le point d’orgue du festival se tenait le week-end suivant, à la Librairie de la Renaissance, sous un chapiteau en extérieur. De nombreuses rencontres et animations ont rythmé cette semaine qui s’est terminée en beauté, rassemblant la soixantaine d’auteurs sous un seul et même chapiteau, concluant cette 7e édition avec brio.
Le romancier au grand chapeau nous a fait part de sa présence de shérif ainsi que de nombreuses anecdotes qu’il avait à nous raconter, mais avant de vous laisser les découvrir, voici une petite présentation de l’auteur pour celles et ceux qui ignoreraient de qui on parle.
L’Indien blanc, le cow-boy, l’écrivain
Policier, professeur d’université, pêcheur, chauffeur routier, charpentier… voilà quelques un des nombreux métiers que Craig Johnson a exercés avant de s’installer dans le Wyoming pour se consacrer à l’écriture. Et s’il n’est pas Indien d’origine, il reste un natif du Midwest américain !
C’est en 2005 qu’il publie son premier roman : Little Bird (The Cold Dish en VO), qui constitue le premier volet d’une saga mettant en scène le shérif Walt Longmire, lequel fait régulièrement partie des listes de best-sellers outre Atlantique ! Ses romans, primés dans le monde entier, ont en autre reçu le Prix NouvelsObs/BibliObs du roman noir étranger en 2010 pour Little Bird, et la même année le Trophée 813 du Meilleur roman étranger pour son roman Le Camp des morts.
Sa série de romans Walt Longmire fait depuis 2012 l’objet d’une adaptation télévisée.
Mais avant d’attaquer, le résumé du roman pardi !
Tous les démons sont ici :
Indien Crow d’adoption, Raynaud Shade est considéré comme le plus dangereux sociopathe des États-Unis et représente le cauchemar de tout policier. Finalement interpellé, il avoue avoir enterré un cadavre au beau milieu des Bighorn Mountains, dans le Wyoming, et c’est à Walt Longmire que revient la tâche d’escorter Shade, en plein blizzard, jusqu’au corps. Mais le shérif sous-estime peut-être les dangers d’une telle expédition. Car pour tenter de rétablir la justice, il va devoir braver l’enfer glacial des montagnes et tromper la mort avec, pour seul soutien, un vieil exemplaire de La Divine Comédie de Dante.
Dans ce nouveau volet des aventures de Walt Longmire, Craig Johnson transforme le lumineux décor des Hautes Plaines en un inquiétant théâtre des ombres, dans un polar sous très haute tension.
La rencontre a été animée par Jean-Paul Vormus, président du festival de Toulouse Polars du Sud. La traduction a été assurée par Aurélie Delevalée.
Conversation avec Craig Johnson
Sommaire
Première partie 1. Les personnages |
Discussion avec le public 1. D’où vous proviens l’inspiration ?
* * * |
Entretien
Craig Johnson — Hi !
Jean-Paul Vormus — Vous êtes l’auteur de douze romans, dont 7 ont été traduits en France, tous édités aux éditions Gallmeister. Le dernier traduit en date est : Tous les démons sont ici, a toujours pour personnage principal Walt Longmire. Vos romans font aussi l’objet d’une adaptation télévisée, il y a 4 saisons, et la dernière sera bientôt disponible sur Netflix.
Vos livres ont fait l’objet de plusieurs récompenses, la dernière en date étant le Prix Polar SNCF qui est un prix très recherché par les auteurs de Polar, et a été couronné un livre qui n’est pas récent — puisque le Prix Polar SNCF couronne les livres de poche — qui est Enfants de poussières.nOn y retrouve Walt Longmire entouré de tous ces personnages qui font la force de vos romans : Henry Standing Bear, le Cheyenne, qu’il a rencontré au Vietnam, sont adjointe Victoria, sont autre adjoint, Sancho. Et puis il y a toute une galerie de truculents personnages ! En particulier de deux frères, deux paysans.
Ces paysans, que l’on retrouve dans plusieurs de vos romans, comme dans Molosse par exemple, ce sont des personnages tirés de votre imagination où ce sont des gens que vous rencontrez dans le Wyoming ?
Craig Johnson — Effectivement ces personnages apparaissent dans deux de mes ouvrages, à savoir Molosse (Junkyard Dogs en VO) et Enfants de poussières (Another Man’s Moccasins en VO). C’est ça qui est vraiment bien dans mon travail, c’est vraiment la partie la plus marrante. Il faut savoir que là où je vis, le Wyoming fait à peu près deux tiers de la taille de la France, donc c’est vraiment un très grand état, mais très peu peuplé et ces habitants n’ont rien à voir avec les autres Américains, ce sont des gens spéciaux ! D’ailleurs il y a une raison s’ils vivent ici, c’est parce qu’ils seraient incapables de vivre ailleurs que dans ce grand état, ne se satisferaient pas d’autres endroits.
Et effectivement, je fais comme beaucoup d’auteurs, même si très peu osent l’avouer : mes personnages sont inspirés de gens que je connais. Comme l’a dit Wallas Wagner, un de mes auteurs préférés, « L’une des meilleures fictions que j’ai écrites est l’avertissement qui se trouve au début de chacun de mes romans et qui dit : aucun des personnages de ce livre n’est basé sur une personne réelle. » C’est faux, c’est mon job !
Le problème, sachant qu’il y a à peu près 500 000 habitants dans le Wyoming, c’est qu’en général tout le monde sait de qui je parle ! (Rires)
C’est presque pire depuis que je vis dans la réserve Cheyenne, puisqu’il y a encore moins d’habitants là-bas ! Et quand j’utilise quelqu’un de la tribu cheyenne près de laquelle je me suis installé, ils se reconnaissent immédiatement dans mes romans, à tel point que je ne cherche même plus à changer leur nom !
D’ailleurs ça ne m’étonne pas vraiment que mes personnages puissent interpeller un public français puisque de toute façon les Américains eux-mêmes trouvent que mes personnages sont un peu bizarres. La majorité de l’Amérique n’est pas le Wyoming, c’est un état qui est déjà en lui-même un peu étrange, avec des habitants un peu bizarres et c’est génial ! C’est exactement ce dont on a besoin pour faire des romans. On ne veut pas retrouver dans un roman les gens que l’on voit tous les jours, les gens communs et peu originaux qui conduisent tous les mêmes voitures, qui ont tous la même vie. Il nous faut des gens un petit peu différents. Et c’est ça qui est vraiment intéressant dans le travail de l’écriture.
Par exemple, il y a cette histoire qui commence le roman : quelqu’un est sur le toit en train de nettoyer la cheminée, il a tout son harnachement sur lui, et puis il y a une voiture qui arrive aux abords de la maison et qui tire la corde sur laquelle il est attaché et manque de le faire tomber, et le personnage se met à dégringoler du toit. Il faut savoir que cette histoire est absolument vraie : c’est l’assistant shérif qui m’a raconté cette histoire.
Et je me suis dit : « Je suis obligé de commencer le livre par cette histoire parce que ça arrêtera le livre de manière nette si je l’ai met ailleurs. Si je la mets plus loin dans l’intrigue, je ne pourrais jamais rebondir sur quelque chose de sérieux après ça ! D’un autre côté, je ne peux pas commencer un livre comme ça, ce n’est pas possible. C’est trop marrant, si je commence d’emblée par une histoire aussi fantasque, ça ne deviendra pas sérieux… ! » D’autant que la thématique principale abordait les aspects un peu cachés de cette ville et de ses habitants. Ce n’était pas une manière de commencer assez sérieuse vu le sujet que je voulais développer dans le livre.
Et puis finalement je me suis dit, je vais l’écrire comme ça et puis on verra ce qui va en sortir !
Pour rester sur les habitants du Wyoming et les Cheyennes, dans votre dernier livre, Walt, dit : « j’ai été l’un des rares hommes blancs que je connaissais qui se sentaient mieux lorsqu’il était entouré d’Indiens. » Est-ce que c’est votre cas ?
Oui tout à fait, c’est tout aussi vrai pour moi. Il faut savoir que c’est un monde vraiment différent, les réserves sont des mondes à part. C’est presque de petits pays au sein de ce grand pays que sont les États-Unis. Il y a à peu près 500 réserves éparpillées un peu partout dans le pays et la plus grosse erreur que l’on puisse faire est d’appeler les Américains natifs les « Indiens » parce que finalement ça ne reflète pas du tout qui ils sont. Chacun est différent, chacun son histoire, chacun sa culture et finalement c’est beaucoup mieux de les appeler par le nom de la tribu à laquelle ils appartiennent.
Little Bird, qui est l’un des premiers personnages féminins que rencontre Walt Longmire dans le tout premier tome de la saga, se met à faire tout un tas de déclarations lorsqu’il la rencontre, donnant tout un tas de chiffres, sur le taux de chômage, le taux d’alcoolisme, le taux d’usage de drogues, tout ce qui se passe dans la réserve.
Il y a beaucoup de problèmes dans les réserves américaines, mais disons qu’exposer comme ça les chiffres tend à effacer les gens qui sont derrière. C’est l’un des problèmes des Indiens aux États-Unis d’ailleurs, on a tendance à oublier que ce sont des êtres humains et pas juste des nombres. Il y a une espèce de double démarche qui peut s’installer, qui sont aussi dangereuse l’une que l’autre.
Soit on les dévalorise et on ne met en avant que les chiffres de la délinquance et autre, soit on tend à les sur idéaliser et là aussi, dans ce processus, on les déshumanise. Donc ces deux manières de les percevoir sont très douloureuses pour les Indiens. C’est vraiment important pour moi en tant qu’écrivain de ne pas les dépeindre que sous l’angle de l’alignement des chiffres négatifs, en plus un grand nombre d’entre eux sont mes amis, je vis avec eux, je les connais très bien et c’est ce ça dont je voulais rendre compte et faire part dans la saga.
Il y a beaucoup de stéréotypes qui entoure les Indiens et finalement l’un des plus lourds est qu’on dit d’eux que ce sont des gens qui manque cruellement du sens de l’humour, on les dépeint souvent comme très stoïques et sans émotion, ce qui n’est pas du tout vrai ! Ils ont plus de 17 degrés d’ironie ! L’humour est vraiment important pour la manière dont fonctionne leur société, dans la manière de communiquer également. Si vous lisez ou vous voyez des choses sur les Indiens qui les dépeints autrement que comme un peuple qui a plein d’humour alors là il faut vraiment commencer à vous méfier !
Désolé au fait, je fonctionne comme ça. Vous me posez une question, je mets vingt minutes à répondre comme ça vous n’en posez que trois ! D’ailleurs ce sera sans doute la dernière ! (Rires)
Votre personnage est comme vous, il a beaucoup d’humour. Est-ce que c’est indispensable pour vous que Walt Longmire, même dans des situations critiques, ait toujours de l’humour ou un sens très fort de l’autodérision ?
Oh ! Oui, c’est important pour moi. Mais peut-être que pour ma femme, qui est assise au deuxième rang, ici, aujourd’hui, pourrait répondre mieux que moi parce qu’on me demande souvent : mais finalement, Walt Longmire, c’est vous ? Et elle répond toujours : « Oui, Walt c’est Craig dans dix ans, c’est juste que lui est un peu long à la détente ! »
Effectivement, je pense que vous avez touché un élément clef de mes personnages, mais surtout de tous mes livres. L’humour est indispensable ! Si vous lisez des romans policiers où tous les personnages sont extrêmement sérieux, surtout les policiers – si les policiers extrêmement sérieux je peux vous garantir que l’auteur n’a jamais rencontré un vrai flic. Parce qu’un flic, c’est rempli d’humour. D’ailleurs comment est-ce qu’ils pourraient faire autrement ? Imaginez un peu leur travail, ils peuvent voir des choses très heureuses, mais ils voient surtout des choses affreuses, et finalement la seule manière de continuer d’avancer et de supporter ce travail, c’est bien de conserver son sens de l’humour.
Je viens d’avoir un prix qui va m’être remis par la police de Toulouse et je pense que c’est sans doute parce que mes livres dépeignent les policiers et leur manière de fonctionner de façon crédible, en tout cas pour moi, c’est vraiment important, et c’est tout aussi important dans la manière dont je fais naître mes personnages sur la page, Walt et les autres. En fait, ce que j’essaie de vous montrer c’est que vous avez beaucoup en commun avec eux que ce que vous pouvez croire. Peut-être que vos vies sont un peu différentes, mais dans le fond vous êtes comme mes personnages, vous êtes un peu mes personnages et c’est cette universalité que j’essaie de rendre dans mes livres.
Il faut que je rende à César ce qui est à César, je vais vous parler de mon personnage Little Bird. Quand je suis arrivé en France pour la première fois(1), à la sortie de mon premier livre, pour faire mes premières dédicaces et mes premiers entretiens on me demandait souvent : « Et que pensez-vous de la traduction ? » Et je disais : « Elle est absolument géniale ! » Et on me répondait souvent, mais qu’est-ce que vous en savez, vous ne parlez pas français ! Alors oui, mais par contre j’ai lu les articles qu’il y avait dans la presse et ils ont tous soulignés à quel point le livre était drôle. Donc si les Français pouvaient lire mon livre et rire, comme je l’avais voulu à la base, c’est que Sophie Aslanides, qui a traduit le livre, a fait un travail remarquable puisqu’elle a réussi à faire passer l’humour dans sa traduction. Elle a vraiment tout compris !
Est-ce que pour vous Walt est une sorte de chevalier moderne qui a pour mission de défendre le faible ou est-ce un personnage comme pouvait l’être Marlowe, le héros de Chandler, qui lui aussi vit dans un monde un peu perturbé et qui suit son propre code moral et se dit qu’il n’a que ça qui lui permet d’avancer ?
Oui d’une certaine manière on peut faire un rapprochement avec le Marlowe de Chandler, mais la différence de Walt Longmire c’est que lui a ce sens de l’humour qui vient un petit peu tout bafouer. Il y a l’humour et il y a aussi ce sens des réalités vraiment très important, c’est un élément essentiel d’ailleurs quand on dessine, quand on donne vit à ses personnages, c’est bien qu’ils aient un sens de la morale et éthique extrêmement élevé, mais ceci dit le personnage sera sans doute plus crédibles et plus fini s’il n’est pas juste bidimensionnel, s’il n’est pas ni tout noir ni tout blanc. En tout cas c’est trop souvent le cas de trouver dans des romans ces personnages en 2 dimensions.
Peut être aussi que mes personnages ont tendance à être plus complexes parce que vous êtes-vous aussi plus complexe, comment vous êtes un peu mes personnages, en un sens, j’avais besoin d’en rajouter dans mes romans. Avec le temps, et c’est normal, les lecteurs en veulent aussi toujours plus ! Il fallait emmener Walt encore un peu plus loin dans la fiction. Il ne pouvait pas toujours réchapper à tout sans embuche, il faillait rendre les choses plus compliquées, s’il y a bien un trait de caractère qui est toujours présent chez Walt et que je souligne régulière, c’est sa profonde tristesse. C’est quelqu’un qui, si l’on regarde les faits, dans le dernier roman, doit escorter des détenus à travers la montagne et qui trainent eux-mêmes un passé assez lourd derrière eux. Walt s’engage dans une région où il faut des équipements extrêmement sophistiqués et lui n’a qu’une couverture, trois bouts de ficelles, un téléphone qui ne marche jamais. Et pourtant il doit quand même escorter une partie de ces prisonniers-là, en sauver certains, et les choses ne fonctionnent jamais comme prévu. C’est ça qui rend l’intrigue réaliste. On a l’impression qu’il ne va jamais s’en sortir et qu’il va finir par y laisser sa peau.
Le dernier livre pour ceux qui auraient la chance de ne pas l’avoir lu — comme ça vous pourrez le découvrir — est assez particulier et se distingue des six précédents. L’intrigue, nous la connaissons dès le début : c’est un homme qui poursuit un autre. Il n’y a pas d’énigme policière comme les autres.
Le livre consiste en une réécriture de L’Enfer de Dante. Au début les prisonniers prennent un repas avec le Shérif dans un routier au pied de la montagne et Sancho lit la Divine Comédie de Dante. Il faut savoir qu’à la base c’est plutôt Walt qui lit énormément et qui saoul tout le monde avec ça, surtout Saizarbitoria qui n’aime pas tant la lecture que ça, mais qui finit tout de même par demander à l’ensemble du commissariat de dresser une liste des dix livres qu’il aurait dû lire à la fac et qu’il n’a en fait jamais lus. (Les listes sont d’ailleurs à la toute fin du roman.) Il y a un petit problème avec Ruby, qui est un personnage féminin un peu bigote, c’est un peu la maman du commissariat qui bichonne un peu tout le monde, et sa liste reflète sa personnalité, puisqu’elle lui recommande de lire L’Ancient testament ou Le Voyage du pèlerin (The Pilgrim’s Progress), un vieux roman du 18e siècle très connu du monde anglophone.
Au début du roman donc Sancho lit L’Enfer de Dante et Walt lui demande comment il s’en sort. Et Sancho lui répond, « Pff… c’est long, c’est long… »
Walt, qui doit s’en aller dans la montagne faire cette expédition pour aller retrouver Shade, est en train de se préparer, et Sancho qui est en train de lire L’Enfer de Dante a le livre dans les mains, il lisant une version de poche. Il a lu environ 10 pages et il lui dit : « Eh patron, quand même, vous devriez emporter un bon bouquin avec vous et je crois que celui-là, c’est celui qu’il vous faut » et à partir de ce moment-là le livre se calque en partie sur l’intrigue de L’Enfer. Walt va vivre la même expérience que Dante lui-même dans la première partie de la Divine Comédie.
Quand je fais mes tournées aux États-Unis, j’ai l’habitude de demander au public qui a lu L’Enfer de Dante et là il y a une pluie de main qui se lèvent et quand je dis qui parmi vous a fini L’Enfer de Dante, là d’un seul coup il n’y a plus personne ! (Rires)
On a tous cette vision un peu fantasmée de l’enfer avec ces grandes flammes, ces murs très élevés dont on ne réchappe pas, etc. Mais en fait L’Enfer est dépeint de manière complètement différente ; ce n’est pas un endroit où il fait extrêmement chaud, c’est un endroit extrêmement glacial ! Et plus on descend dans les cercles de l’enfer plus il fait froid, car pour Dante, plus on descend dedans, plus on s’éloigne de la chaleur de Dieu. Le paysage se transforme en paysages glacés, en paysages de montagnes. L’analogie était toute trouvée pour l’aventure de Walt. Plus il monte et plus il y a de la neige, le blizzard devient intense, la glace est absolument partout. Il a un mouvement inverse par rapport à Dante, lui il monte, mais il rencontre un environnement tout aussi hostile.
Je vous l’avais dit, je mets vingt minutes à répondre ! (Rires)
Pour revenir à la liste des livres, ce sont vos livres préférés que vous avez mis ?
Oh ! Il y a quelques-uns de mes livres préférés qui sont dispersés ça et là dans les listes des différents personnages, mais c’est ça qui est assez marrant à propos de Walt c’est qu’il n’a rien avoir avec le flic traditionnel du polar. Il n’a rien avoir avec ce beau gosse d’un mètre 80 au sex appeal sans faille qui pourrait tuer n’importe qui avec n’importe quel flingue en moins de trois secondes. Non, pour moi ce qui est vraiment important c’est que Walt soit différent. Walt nous ressemble. C’est monsieur trop tout : il est trop gros, il est trop vieux, il est trop déprimé. Finalement il est un peu comme nous et c’est ça qui le rend vraiment héroïque.
C’est un peu le revers positif de la médaille. Walt finalement a un grand avantage par rapport au héros traditionnel du polar, c’est qu’il lit. Il aime lire. La raison que je donne, c’est qu’il a suivi des études de littératures anglaises avant d’être appelé au Vietnam et de devenir shérif. Son bureau c’est une espèce de vieille librairie. Ça l’aide souvent à s’extirper de situation délicate, parce qu’il a cette connaissance un peu encyclopédique et il est capable d’aller chercher dans la littérature le petit détail qui va l’aider à surmonter ce qui lui arrive.
Comme vous l’avez dit, votre dernier livre est presque une transposition de L’Enfer de Dante dans le Wyoming, mais il y a un deuxième personnage qui est important dans ce livre c’est Virgile White Buffalo. Ce personnage, on l’a déjà vu dans Enfants de Poussière. L’enfer était déjà mentionné.
Avez-vous un plan sur plusieurs livres pour faire évoluer vos personnages ?
J’ai vraiment poussé l’analogie jusqu’au bout et aussi loin que j’ai pu. Quand même, il faut le faire de réussir à intégrer un poète italien dans le Wyoming !
J’avais besoin de Virgile comme personne et quelque part, ce livre, je l’avais un peu planifié il y a longtemps, et ce n’est pas le seul. Pour moi écrire, c’est un peu comme faire de l’escalade ou de l’alpinisme. Il y a certaines montagnes que l’on ne peut pas escalader tout de suite, en un seul essai. Il faut prendre son temps, si reprendre plusieurs fois et puis, au fur et à mesure des essais, on arrive à monter toujours un peu plus haut. Finalement, c’est un peu pareil. Il y a des choses que je n’arrive pas à écrire comme ça d’une traite du jour au lendemain, je fais plusieurs tentatives, je fais évoluer mes livres au fil du temps et effectivement Virgile apparait dès le 4e volume de la saga.
Le fait que Walt doit escorter tous ces prisonniers, cela n’aurait jamais paru crédible, sauf s’il avait été Monsieur superflic dont on parlait tout à l’heure. Il fallait que je lui trouve quelqu’un pour l’aider et je me suis dit que Virgile était là personne rêvée ! C’est un petit peu l’équivalent du Virgile qui va aider Dante.
Virgile est un personnage un peu philosophe et il est vraiment un bon pendant à toutes les péripéties que doit traverser Walt. Ce qui est intéressant aussi, c’est que plus on avance dans le livre plus on se demande s’il est réellement là. Après tout, Walt est particulièrement en mauvais état, avec l’altitude, l’hypothermie, il s’est pris un coup sur la tête, il est vraiment mal en point. Donc c’est tout aussi probable que Virgile ne soit pas là et que Walt ne l’ait invoqué que pour qu’il soit son guide et une béquille sur laquelle s’appuyer.
C’est l’un des petits plaisirs du livre, il s’agit de réussir à démêler le personnage de Walt et surtout son statut en tant que narrateur. Est-ce que c’est un narrateur en qui on peut avoir confiance ? Des fois oui, des fois non. En tout cas j’espère que c’est l’un des petits plaisirs du livre.
Avez-vous une méthode particulière pour écrire des dialogues ?
Quand j’anime des ateliers d’écriture à l’université, l’une des premières choses que je dis aux futurs jeunes auteurs, c’est : « Faites faire lire vos dialogues à quelqu’un, surtout pas vous. Ne relisez pas vos dialogues à voix haute, faites les lire à quelqu’un qui vous les lira. » Parce qu’alors toutes les erreurs et toutes les choses qui ne sont pas tout à fait justes vont vous déchirer l’oreille et vous ne les manquerez pas.
Lorsque mon épouse et moi faisons de très longs trajets en voiture à travers le Wyoming, pendant des tournées ou autres, elle lit toujours mes manuscrits et la pire chose que j’ai envie d’entendre c’est : « Mais… tu ne pourrais pas dire ça autrement ? » Et ça, vraiment, ça me terrifie.
Pour continuer avec Tous les démons sont ici, le méchant est particulièrement… méchant ! Physiquement, déjà. Il est borgne, mais « l’œil mort est plus vivant que l’œil vivant. » Du moins c’est ce que vous dites dans le texte.
Vous avez pris un certain plaisir à faire ce méchant, psychopathe au possible ?
Oui ! Il y a un grand proverbe des Cheyennes du nord « On juge un homme à ses ennemis. » C’était vraiment important d’avoir pour ce livre un bon pendant au personnage de Walt. Et ce personnage était idéal pour ça, il pousse Walt Longmire dans ses derniers retranchements. Ça m’a fait bien plaisir.
J’utilise beaucoup de techniques que j’ai déjà mentionnées tout à l’heure, pour que vous vous sentiez en connexion avec mes personnages. En tout cas ce sont ces techniques qui font que je me sens connecté avec eux quand j’écris. J’espère que c’est aussi le cas pour vous ! À un moment, Ray (l’homme en question) demande à Walt ce qu’ils ont en commun, et petit à petit, il commence à s’immiscer dans la psyché de Walt. De ce fait, il se retrouve de plus en plus isolé, seul, perdu dans cette montagne, mais aussi seul dans son esprit et dans son face à face avec Ray.
Tous les deux ont vraiment beaucoup en commun. Walt est un personnage qui est hanté par beaucoup de choses, tout comme Ray. Ray a ceci de spécial qu’il est particulièrement hanté par tout ce qu’il a fait, il traine un très lourd passé derrière lui. Ce n’est pas juste le méchant avec le chapeau noir, c’est vraiment un monstre qui s’est construit progressivement depuis l’enfance. Toutes les choses qu’il a vécues ont fait de lui le monstre qu’il est au moment où se passe l’intrigue et où il décide que le monde va devoir payer pour toutes les horreurs qu’il a vécues. Je trouve que c’est vraiment un personnage horrible et effrayant.
Les autres prisonniers disent par ailleurs : « Nous, on vous fait peur. Mais lui, il nous fait peur. » C’est dire…
Oui ! C’est vrai que les autres personnages ne sont pas particulièrement sympathiques et même eux ont la frousse de se trouver à ses côtés. C’est un peu un élément incontrôlable, une sorte d’électron libre, c’est le scénario du pire en quelque sorte. C’est ça d’être aux côtés d’un sociopathe, de quelqu’un qui est fou : on ne peut jamais prévoir leur réaction. C’est ce côté-là qui est particulièrement effrayant.
Il y a un détail qui me surprend toujours, surement parce que je suis français : il s’agit de l’admiration pour les armes. Il y a ce personnage qui s’appelle Omar qui donne une carabine à Walt pour partir à la poursuite de Ray, et l’on sent que c’est un objet qui a une vie propre.
C’est vrai qu’il y a un culte des armes aux États-Unis. Je suis né dans un endroit assez rural où l’une des servitudes qu’ont les gens, là-bas, est de donner des noms à leurs armes. Ça peut paraitre étrange, imaginez-vous donner un nom à une pelle, à ce micro ; ça parait complètement stupide et pourtant il faut avoir beaucoup de respect pour ces choses-là, c’est un petit peu la loi du business. C’est important, dans mes polars, que ça ne soit pas juste une arme que je donne au policier et puis basta, ça s’arrête là !
En tout cas, je ne suis pas un grand fan de technologie, je ne suis pas très calé là-dessus. Ce n’est pas pour rien que mes histoires se passent dans l’état le moins peuplé des États-Unis. Il faut savoir que dans le Wyoming, il y a un seul laboratoire de police criminelle. Donc tout ce qui sera balistique, analyse ADN, ce n’est pas ce qui est le plus important dans mes intrigues.
Je vais utiliser une maxime qui peut très bien s’appliquer à mon roman : Le diable se cache dans les détails. C’est les détails qui sont importants. Comme disait Tchekov, en parlant d’environnement et d’inventaire, s’il y a une carabine au-dessus de la cheminée dans le premier acte, il faut absolument qu’elle ait disparu dans le troisième. Si elle se trouve là, ce n’est pas pour rien.
Dans Little Bird, il y a la carabine de mort des Cheyennes, qui date de l’époque où les nouveaux Américains se sont battus contre les Indiens. Elle a des plumes de hiboux, mais également dix petits nœuds de ficelles qui en pendent, et ces nœuds représentent chacune des vies qui ont été prises par la carabine. Ce qui m’intéresse, c’est l’histoire sociale de l’arme que je mets en scène dans mes fictions.
C’est vrai que dans l’Ouest américain il y a beaucoup d’armes. Quelque part, les armes sont presque un marque-page pour la vie de Walt. L’arme de Walt a un nom bien spécifique et il la porte avec lui tous les matins, et tous les matins cette arme lui rappelle l’époque où il a servi au Vietnam et cette guerre qui le hante depuis lors. Pour moi, c’est ça qui est vraiment important. Je veux que ressentiez toute l’histoire qu’il y a derrière les armes qui sont mises en scènes.
Discussion avec le public
D’où vient votre inspiration ? En lisant vos livres, on a eu l’envie d’aller dans le Wyoming et de voir ce qu’il s’y passait. On a vu le shérif de Buffalo Hallow, mais il ne courrait pas après les bandits, et il ne convoyait pas les prisonniers, il n’y avait pas d’attaque de banques, tout était très calme ! (Rires) Comment faites-vous pour trouver ces aventures ?
C’est intéressant que vous mentionniez ce détail, car qu’on me dit souvent ça ! « C’est dingue le nombre de gens qui se font tuer dans ce comté du Wyoming. » (Rires) Ceci dit, il faut quand même savoir que Walt passe les trois quarts de son temps assis derrière son bureau à signer des chèques et à faire toute la paperasse que lui impose son boulot, car c’est tout de même le genre de travail où les tâches administratives sont particulièrement lourdes ! Alors OK, je n’en parle pas dans mes livres, mais je crois que ça vous ennuierait un peu si vous lisiez ce genre de détails.
Pour répondre plus spécifiquement à votre question, la plupart de mes idées me viennent des journaux, tout simplement. À chaque fois que je me déplace, que ce soit dans le Wyoming, le Montana, partout où je vais, j’achète le journal local. J’adore les journaux des toutes petites villes ! Contrairement à la presse à gros tirage qui fait son beurre sur tout et n’importe quoi, ces petits journaux nous racontent des histoires absolument fascinantes. Mon inspiration vient de là.
À propos du fait que je tiens mon inspiration des journaux, c’est aussi une façon pour moi d’être honnête envers vous. Je vous raconte des choses qui se sont réellement passées. Je pourrais créer le rôle d’un personnage, le flic stéréotypé : mais ce n’est pas ça qui est important à mon avis. Qu’il mène la vraie vie d’un shérif de l’ouest, c’est rendre hommage de la façon la plus honnête possible à l’endroit où je vis et à l’endroit que j’aime.
Un jour, j’étais en train de travailler dans mon ranch, je rangeais le système d’irrigation — j’avais mis mes grosses bottes en caoutchouc. J’étais avec ma pelle et j’avais de la boue partout. Et d’un seul coup, sur la route qui mène au ranch, j’aperçois une sorte de mini van qui roule vraiment doucement et je me dis : « Il vient par ici ? Qu’est-ce qui se passe ? » Et plus le van approchait, plus il ralentissait, ralentissait. Je voyais les gens qui me regardaient, incertains. Ils ont fini par baisser la fenêtre et ils m’ont demandé : « Excusez-moi, on cherche la maison de Craig Johnson. » « Oui, c’est moi. » Et là, ils me regardent tous les deux et me disent : « Sérieux ?… » (Rires)
Du coup je leur ai offert une bière, on a discuté : et ils m’ont posé pas mal de questions sur le livre pour être sûrs que c’était vraiment moi !
Il y a une série télé qui a été faite sur vos romans. Y participez-vous et la trouvez-vous assez fidèle à l’esprit du livre ?
Effectivement, je suis consultant sur la série. Il faut savoir que les producteurs viennent de Los Angeless et que la série est tournée au Nouveau-Mexique, ce qui n’est pas l’endroit le plus enneigé aux États-Unis… Ils ne sont pas vraiment dans l’environnement du Wyoming, enfin bon ! (Rires) Mais mon travail consiste en ceci : on est tous réunis dans une pièce et il y a les scénaristes qui prennent des petits morceaux de mes intrigues pour en faire un épisode, parce qu’eux ont cette limite que moi je n’ai pas. C’est qu’un épisode à un format de moins d’une heure, c’est 42 minutes et pas plus. Ça me parait complètement impossible, je suis incapable d’écrire un roman de moins de 300 ou 400 pages. Ceci dit, effectivement : ils font un super travail dans la façon dont ils arrivent à capturer l’atmosphère de mes livres. D’ailleurs, tous ces gens sont devenus des amis et j’apprécie vraiment de travailler avec eux.
Il y a quand même une chose qui me rend un peu triste pour Hollywood, et toute cette débauche d’argent, tous ces gens super beaux : peu importe ce qu’ils font, ils ne seront jamais aussi bons qu’un livre. Parce que j’ai l’ingrédient secret, et cet ingrédient, c’est votre imagination. Ce que je fais, c’est que je me promène avec mon petit sac de mots et je le sème sur le terrain de votre imagination qui est bien fertile. Tout ce que j’ai à faire, c’est à semer mes mots. C’est votre imagination qui construit l’histoire.
C’est ce que je dis souvent aux gens qui me demandent quelle est la plus grosse différence entre la série et les livres. Et ma réponse immédiate est que tout le monde à la télé est beaucoup plus beau que ceux que j’ai dans ma tête.
Lisez-vous d’autres romans de littérature policière, comme Tony Hillerman ? Et les lisez-vous comme un lecteur ordinaire ou comme un auteur ?
Oui, j’adore lire. J’adore la fiction policière. Si j’arrêtais de lire, je crois que j’arrêterais d’écrire. En fait, je suis comme vous ! (Rires) J’adore découvrir de nouveaux auteurs, mais j’aime bien aussi découvrir des titres d’auteurs très connus, mais que je n’avais jamais pensé lire ou que je ne connaissais pas du tout. Nous, les écrivains, on a une sorte de collectionite aigüe. On adore collectionner des bouquins, et j’en ai partout dans mon ranch. À côté du lit, sur ma table basse, même sur le tableau de bord de mon pick-up. Les livres sont partout chez moi.
D’ailleurs, pour répondre : comment peut-on arriver un jour à se dire « Ça y est, j’ai tout lu, je sais tout : j’ai terminé. » C’est impossible ! Je sais très bien que je mourrais et que j’aurais encore des piles de bouquins que je n’aurais pas lus et qui attendront d’être lus. Dans ce roman, Tous les démons sont ici, je fais référence à Dante, à Shakespeare. Ça, c’est vraiment chouette : quand on lit des auteurs qu’on apprécie et dont on commence à bien connaitre l’univers, de réussir à les intégrer dans ses propres ouvrages, c’est magnifique ! La lecture me bonifie et bonifie mon écriture. Un peu comme un joueur de cartes. Plus il joue, meilleur il est. Plus je lis, plus je suis un bon écrivain. Et le challenge sera toujours là : on ne peut pas tout lire, c’est impossible.
Vous avez mentionné Tony Hillerman dans votre question. Tony était un très bon ami à moi. À une époque, j’ai écrit une nouvelle qui a gagné le prix Tony Hillerman, je suis donc allé à Santa Fe pour recevoir le prix et je l’ai rencontré. C’est un peu le parrain du polar et du western-mystery. Il faut tout de même savoir qu’à la fin des années 60, en 1968, ce n’était pas très cool d’être Indiens aux États-Unis, pas fashion du tout à vrai dire, il y avait le sida, Alcatraz… Et pourtant Tony a commencé une saga dont les deux protagonistes étaient des Indiens. L’une des meilleures citations dont je me souviens vient de Wes Studi, un acteur indien connu en Amérique, il était en train de lire un des livres de Tony et il me dit : « C’est quand même fou, tu te rends compte ? Dans ce bouquin il y a deux Indiens et pas un seul Lone Range. »
On a toujours un peu d’appréhension lorsque l’on rencontre quelqu’un qu’on apprécie beaucoup, on ne sait jamais si finalement cette personne sera aussi géniale que les livres qu’elle a écrits. Lorsque j’ai rencontré Tony, je n’ai pas été déçu. Il était à la hauteur de ses livres !
Pour voir plus de photos de la série : http://www.aetv.com/shows/longmire/pictures
Le site web de l’auteur : http://www.craigallenjohnson.com
~ Galerie ~
Les photos de la rencontre sont de Christelle Guillaumot.
Craig Johnson
Tous les démons sont ici ~ Éditions Gaillmeister
ISBN 978-2-35178-084-8
320 pages
Prix public 23,50 euros
(1) Craig Johnson adore la France. Si vous l’avez loupé, vous aurez surement plein d’autres occasions de le rencontrer !
Le tonnerre est impressionnant, mais c’est l’éclair qui est important.
((Mark Twain / 30 novembre 1835-21 avril 1910).
En illuminant nos lectures, l’Écrivain est cet éclair.